Oracle dans le Nord du Vietnam
Le diseur de bonne aventure s'appelle, au Tonkin, Bôc-phê-Ong, ou bien encore Thày-boi. C'est une profession en général peu lucrative et réservée aux aveugles. Quelques-uns cependant parviennent à acquérir une certaine renommée et ont un cabinet de consultation; une planchette pend devant leur porte, et sur cette planchette on lit le caractère suivant Bôc, qui signifie « sortilège, divination » et se prononce Bôc. Les autres sont ambulants et vont solliciter la clientèle sur les places publiques, dans les marchés et les carrefours. Le Thäy-boi porte, pour tout bagage, une boîte contenant quelques effets et ses instruments de divination, qui consistent simplement en une cassolette de cuivre ou de porcelaine et en en une poignée de sapèques de cuivre.
Fonctionnement des Oracles
Celui qui vient consulter l'augure apporte une certaine quantité de chiques de bétel pour se rendre l'esprit favorable; le Thäy-boi met les chiques dans la cassolette, y ajoute quelques sapèques de cuivre et une baguette d’encens allumée. Il élève le tout à la hauteur de sa tête, respire fortement, et prononce ensuite une courte formule d’évocation; après quoi il prend les sapèques de cuivre et les laisse une à une sur la table; leur position pile ou face (âm ou duong) détermine la prédiction. On paye selon l'importance de la consultation : Une simple question contre trois iiên (cinq sous); mais les renseignements étendus et circonstanciés vont jusqu’à une ligature (environ 0 fr. 75).
On peut encore consulter l'avenir en interrogeant, dans les temples, les blocs et les baguettes divinatoires. Les blocs sont deux morceaux de bois laqué ressemblant aux deux cotylédons séparés d’un énorme haricot; on les jette ensemble sur le sol en formulant la question à laquelle on désire une réponse; s'ils tombent tous les deux du même côté, la réponse est négative; elle est affirmative si les deux morceaux de bois retombent sur une face différente.
Les baguettes (Quê) sont de minces lamelles de bois d'environ 0 m. 30 de longueur, sur lesquelles sont écrits des chiffres en caractères chinois; ces baguettes au nombre d’une trentaine sont placées dans un tube de bambou en forme de vase. La personne qui veut consulter l'oracle dépose d’abord une offrande, s'agenouille, se prosterne et récite une prière; elle prend ensuite Le tube de bambou et le secoue d’avant en arrière jusqu’à ce qu’une des baguettes, se séparant progressivement du faisceau, soit projetée hors du tube et tombe par terre; le nombre inscrit sur cette baguette, reporté sur un répertoire, désigne alors la réponse de oracle.
L'empereur qui écrit livre d’oracles
L'empereur Minh-manh, qui régna sur l’Annam de 1820 à 1840, et qui fut un des plus sages monarques de la dynastie actuelle, avait la plus grande confiance dans les oracles. Il composa lui-même un système d'horoscopes et écrivit un livre d’oracles intitulé Thién-co-du-triêu, qui fut publié par ordre de son successeur Thiéu-tri.
Voici quelles sont les instructions données par l’auteur dans la préface de son livre: « Pour consulter avec fruit le livre du destin, il faut prendre deux dés en bois, taillés en forme de décaèdre et portant sur chacune des faces un des dix signes du cycle; un de ces dés sera rouge et l’autre blanc. On placera ces dés dans les deux compartiments d’une petite boîte fermée d'un couvercle, et l'on portera cette boîte dans un temple; s’il n'y a aucun temple à proximité, on pourra se contenter de placer la boîte sur la table de la maison, en ayant soin qu'il ne se trouve aucune poussière, aucune impureté sur cette table ou sur le sol environnant. On disposera, sur l'autel du temple ou sur la table, des offrandes de fruits, de vin, de thé, et on allumera l’encens. Tenant ensuite la boite à deux mains, après avoir fait les prosternations d'usage, on l’élèvera à la hauteur de son front en priant le génie ou le Bouddha de lever pour un instant le voile impénétrable de l'avenir, puis, exposant la boîte au-dessus de la fumée de l’encens, on l'agitera trois fois, après quoi on la reposera sur la table ou sur l'autel et on lèvera le couvercle.
« Les deux caractères qui apparaîtront alors sur les dés seront associés dans cet ordre : rouge et blanc et reportés sur le tableau des deux cents signes, qui constitue le répertoire de notre livre; le tableau indiquera la page du livre où est inscrite la réponse de l’oracle ».
Suit une énumération de circonstances dans lesquelles on devra consulter le livre; la première partie concerne les cas suivants : Résultats d’un examen; chances d’un commerce; projets de mariage; risque de voyage; désir de progéniture; carrière administrative; santé; longévité; construction d’une maison; achat de propriétés; récoltes.
La deuxième partie répond aux questions concernant : les maladies; l'emplacement des tombeaux; l‘issue des procès; la recherche des objets volés ;la capture des voleurs ;la destruction des rebelles; le succès de la chasse; la pluie; la sécheresse; le vent; la famine.
Les réponses de l’oracle ne sont pas sans quelque finesse, ainsi qu'on pourra s’en convaincre par celles que nous citons au hasard :
- N° 6 (signe Giap-ky). Le commencement sera bon, la fin mauvaise; à la chaleur succède le froid; hiver vient après l'été. La fleur de l'arbre devient un fruit, puis Le fruit tombe, pourrit et se dessèche ne laissant qu'une enveloppe; mais l'enveloppe contient la semence.
- N° 12 (signes At-at). Pertes; gardez la maison; défiez-vous des inconnus.
- N° 18 (signes At-tân). Il suffit, pour nourrir une famille, du labeur d’un seul buffle, mais il faut que ce buffle soit fort et sain. La santé et la force sont le résultat des bons soins et de la bonne nourriture.
- N° 35 (signes Dinh-mâu). Gardez-vous des désirs immodérés. Vous avez des légumes, pourquoi désirer de la viande ? Vous avez la tranquillité de l’esprit, qu'avez-vous à faire des honneurs !
- N° 40 (signes Dinh-qui). Si le faible rotin s'appuie sur le robuste pin, il peut atteindre la cime la plus haute. Il peut aussi étreindre et étouffer son soutien.
- N° 80 (signes Nhàm-giap). Ta femme est morte, mari toi de nouveau. Tu viens d’échouer aux examens, entreprends le commerce.
- N° 82 (signes Nhâm-ât). Si tu obtiens la richesse et la longévité, si tu réussis dans toutes tes entreprises, la femme en revanche sera stupide et stérile.
- N° 99 (signe Qui-nhâm). Il ne suffit pas d’être apte pour réussir, il faut encore rencontrer l'occasion. Deux époux peuvent être remplis d'affection l’un pour l’autre ; s'ils vivent séparés et s'ils ne se rencontrent jamais comment leur naîtra-t-il une postérité ?
Revue indochinoise illustrée, 24 février 1902
G. Dumoutier